Association L'Ange Bleu
A.N.P.I.C.P. (Association Nationale de Prévention et d'Information Concernant la Pédophilie)

33, avenue Philippe Auguste
75011 PARIS
Tél : 06 84 97 72 39


Rechercher sur le site : Tous les mots
Share |

Retour



Inceste : des vies broyées par le silence

France-Soir, 4 mai 2010

Tabou d'entre tous les tabous, l'inceste est recouvert d'une chape de plomb. Aujourd'hui dans France Soir, et le 4 mai sur Arte, victimes et abuseurs brisent la loi du silence.

Les chiffres sont saisissants. Selon un sondage Ipsos, on évalue à deux millions le nombre des victimes d'inceste dans notre pays. Deux millions. 20% des procès d'assise sont consacrés à ces affaires insupportables. Qu'est-ce donc qui entraîne tant de pères, de frères, d'oncles ou de grand-pères, à violenter des enfants âgés, pour la moitié d'entre eux, de moins de 9 ans ? « La plupart des agresseurs ont eux-mêmes connu la violence ou l'inceste dans leur propre enfance. Et tous ont souffert de graves carences maternelles », indique la thérapeute familiale Martine Nisse, auteur notamment de Quand la famille marche sur la tête : inceste, pédophilie, maltraitance (Seuil, 2004).
Mais il ne suffit pas d'avoir été un petit garçon malheureux pour devenir un homme incestueux. « Ce drame se joue à trois », poursuit la psychothérapeute. Mères silencieuses, volontairement aveugles, soumises à leur mari, parfois complices sans se l'avouer, « il n'existe pas de situation où la mère ne dysfonctionne pas », constate Martine Nisse. Avec, sur les victimes, des conséquences à long terme effrayantes : perte d'identité, anorexie, compulsion sexuelle, drogue, névroses post traumatiques, associabilité, suicides...
De toute éternité, l'inceste reste l'interdit majeur, le tabou entre tous les tabous. Tellement tabou, que la chape de plomb recouvre même les victimes. Jamais écoutées, rarement entendues, seules 30% d'entre elles osent porter plainte sans qu'il y ait, le plus souvent, de poursuites judiciaires. La société n'aime pas l'inceste. On la comprend. Faut-il pour autant l'ignorer ?
De nombreuses associations se battent contre le silence qui entoure les abus sexuels. Parmi elles, l'Ange Bleu a décidé d'agir pour la prévention et ouvert, en 1996, un espace de parole pour les agresseurs au bord du passage à l'acte. « Le secret imposé renforce les pulsions », affirme Latifa Bennari, la présidente. Cette femme, elle-même victime de viols répétés entre 7 et 14 ans, voue sa vie à la protection des enfants. Son credo : comprendre les abuseurs pour mieux protéger les victimes. Elle ne compte plus, depuis 14 ans, les hommes qui la remercient de les avoir accueillis alors qu'ils allaient basculer.
Avec le temps, Latifa s'est diversifiée. Aujourd'hui, chez elle, se côtoient victimes et agresseurs dans des groupes de parole inédits. Des séances apaisantes pour chacun. Les uns y mesurent la souffrance des autres, et vice versa. Se remettre d'un inceste qu'on a subi est une montagne à gravir, mais on oublie parfois que, pour beaucoup de ceux qui ont dérapé, la reconstruction constitue aussi un parcours douloureux, fait de honte et d'ostracisme. A l'Ange Bleu, on écoute tout le monde et on ne juge personne. Car si rien n'éradiquera jamais l'inceste, la parole pourrait suffire à sauver, au moins, quelques destinées.

Marie Marvier





Sandrine Apers : « On m'a traitée de menteuse »

Sandrine Apers a subi des agressions sexuelles répétées durant toute son enfance. Elle raconte la honte, le silence, la reconstruction. Un témoignage difficile et bouleversant.

FS : Vous souvenez-vous de la « première fois » ?
SA : J'avais cinq ans. C'était lors d'une réunion de famille. Je jouais dehors avec les autres enfants quand un de mes oncles, alors âgé de seize ans, m'a entraînée à l'écart, derrière une voiture, pour me « dire un secret ». Il m'a demandé de me pencher et, derrière moi, a glissé sa main dans ma culotte. Le temps s'est arrêté. J'étais emplie d'effroi, de surprise. Je ne comprenais pas ce qu'il faisait. Très vite, mon père est arrivé et l'a ramené, furieux, dans la maison. Je suis retournée jouer comme si de rien n'était. Mais je me sentais sale.
F.S. : Votre père avait surpris votre agresseur. Comment cela a-t-il pu se reproduire ensuite ?
En fait, mon père n'a rien dit à personne. Quelques temps plus tard, il a été décidé que cet oncle ferait baby sitter tous les mercredi. Il avait désormais le champ libre.
F.S. : Lorsque cela s'est reproduit, pourquoi n'avoir rien dit à votre père qui vous avait défendue la première fois ?
S.A. : Justement, c'était l'argument de mon agresseur : « Ton père est au courant ». J'étais tellement petite !Je me sentais totalement seule.
F.S. : Combien de temps les agressions ont-elles duré ?
S.A. : De l'âge de 5 ans à 12 ans, chaque semaine. Il y a d'abord eu des attouchements et des humiliations. Puis, il a apporté des bandes dessinées pornographiques en me demandant de prendre, nue, les mêmes positions que sur les images. Ensuite, c'est allé crescendo jusqu'au viol. A 9 ans. Je pensais que j'allais mourir, tant par la douleur physique que psychologique. Je ne comprenais rien. J'avais honte.
F.S. : Pendant toutes ces années, quelle a été l'attitude de vos parents ?
S.A. : Mon père était alcoolique et violent, et ma mère me rejetait. Convaincue qu'ils savaient, je croyais qu'ils me trouvaient perverse.
F.S. : Comment cela s'est-il arrêté ?
S.A. :A 12 ans, j'ai commencé à réaliser que ce que je subissais depuis ma petite enfance n'avait rien de « normal ». Un soir, je l'ai attendu avec un couteau. J'étais prête à le tuer s'il me touchait. Il est parti et n'a plus jamais recommencé. Même si, par la suite, il a continué à m'offrir de la lingerie sexy à Noël - devant mes parents qui n'étaient pas plus choqués que s'il s'était agi d'un pull.
F.S. : Vous avez parlé ?
S.A. : Plusieurs fois. A l'infirmière de l'école, à une psy de la CMP – qui m'a traitée de menteuse... Ca n'a jamais suscité aucune réaction. Au cours d'un repas de famille, même, on m'a écoutée puis on s'est remis à manger. C'est comme si j'avais éternué.
F.S. : Comment grandir, après tout cela ?
S.A. : Mon adolescence n'a été qu'une immense colère qui est soudain sortie. Drogue, automutilations, fugues, anorexie...Je me suis tout infligé jusqu'à ce que je quitte la maison vers 17 ans.
F.S. : Quand a commencé votre reconstruction ?
S.A. : Le jour où j'ai vu mon fils sur les genoux de mon agresseur. Cet homme m'avait violée en toute impunité. Qu'est-ce qui l'empêchait de recommencer ? Ca a été un déclic. J'ai coupé les ponts avec ma famille et fait une thérapie.
F.S. : Pensez-vous pouvoir pardonner un jour ?
S.A. : Jamais. Je ne pardonnerai jamais. Si j'avais eu un procès, ou si quelqu'un m'avait écoutée... peut-être que j'aurais pu m'apaiser. C'est à ma mère que j'en veux le plus. Ma mère qui m'a entendue pleurer si souvent sans s'en inquiéter, ma mère qui a trouvé des seringues sous mon lit sans réagir. Ma mère qui m'a vue m'automutiler en me traitant seulement de folle. Non, je ne pardonnerai pas.

Propos recueillis par M.M.



Un manifeste pour l'imprescriptibilité

Sandrine Apers (lire son témoignage) n'a pas porté plainte. Lorsqu'elle s'en est sentie capable, il était top tard : le crime de son agresseur était prescrit.
Jusqu'au 9 mars 2004, la prescription intervenait dix ans après la majorité d'une victime d'abus sexuels. A cette date, la prescription a été allongée à 20 ans. Et depuis janvier dernier, l'inceste est enfin inscrit comme tel au code pénal. Des progrès encore insuffisants aux yeux des victimes. « Certains ne trouvent la force de dénoncer qu'à 40 ou 50 ans, explique Sandrine. Or les victimes d'abus sexuels ont besoin du procès pour se reconstruire. La société doit dire qui est coupable et qui est victime. »
Aujourd’hui, les associations s'unissent pour que l'inceste soit reconnu comme Crime contre l'humanité, ce qui le rendrait imprescriptible (c'est déjà le cas au Canada). Leur manifeste*, qui sera déposé prochainement auprès du ministère de la justice, rappelle notamment, par la voix de l'écrivain Jean-Claude Guillebaud, que « L'inceste est le cousin germain du génocide (...). Ce qu'il violente, ce n'est pas seulement le corps de l'enfant, c'est ce qui fonde son humanité. »

M.M.

Pour signer le manifeste : www.lemondeatraversunregard.org





Témoignage : « J'ai enfermé ma fille dans le secret »

Après avoir abusé de sa petite fille pendant plusieurs mois, Benoît s'est rendu de lui-même à la Brigade des mineurs. Aujourd'hui, il essaie de comprendre.

« La parole guérit un peu » murmure Benoit* lorsque nous lui demandons pourquoi il a accepté de témoigner. Sa confession est difficile. Parler, pour un père incestueux, c'est s'exposer. Au jugement, à la stigmatisation, aux doigts accusateurs. Pourtant, comme l'écrit Hervé Bazin, « C'est la parole qui est d'or, le silence est souvent de plomb. »
C'est la parole, justement, qui a sorti Benoît de son cauchemar. Celle de sa fille de quatre ans qui, après quelques mois de ces relations incestueuses, s'est confiée à sa mère un soir de novembre dernier. « Une nuit terrible », se souvient le père, à l'issue de laquelle il choisit de s'éloigner de sa famille immédiatement, avant de se constituer prisonnier. « Je me suis enlevé jusqu'au droit d'aller chercher ma fille à l'école. Je ne me faisais plus confiance à moi-même. » Juste le temps d'organiser la séparation matérielle. Celui, aussi, de s'informer sur les lois et le sort qui lui sera réservé.

Pulsion irrépressible

Tout a commencé à la fin de l'été 2009. Cela faisait plus de sept ans que Benoît et Corine* vivaient ensemble en harmonie. « Après mon enfance sans père, sans tendresse et sans mots, la famille aimante et soudée de Corine était aussi attirante que déstabilisante. » Le couple recrée cette atmosphère chaleureuse autour de la petite Lili*. Un trio fusionnel, pétri d'amour et d'attentions. Jusqu'au geste de trop. Benoît est seul avec sa fille. Elle lui pose des questions ; des questions d'enfant, sur sa sexualité d'enfant. « Je lui ai parlé du plaisir... et j'ai voulu lui en donner. » Les mots sont difficiles à prononcer. Attouchements, caresses buccales. La pulsion est irrépressible et Benoît ne la gère pas. Il se convainc lui-même que c'est le désir de Lili.
Mais une fois le geste terminé, la honte le submerge. « Je lui ai expliqué que ça ne se faisait pas, qu'il ne fallait pas le refaire, et surtout ne pas le dire. Je l'ai enfermée dans le secret. » Mais il « le » refait. Plusieurs fois. De plus en plus souvent. « Aujourd'hui, je sais que je n'ai pas su gérer la relation fusionnelle que j'avais avec ma fille. Tant d'amour dans ma vie m'a fait perdre mes repères. »
Benoît ne cherche pas d'excuses. Sa voix raconte son honnêteté et ses regrets. « A cette période, j'avais comme une double personnalité, comme le Dark Passenger de la série Dexter. Au quotidien, je restais le même, mais j'avais conscience que cet aspect noir de moi-même allait ressurgir. Cela m'effrayait, me plongeait dans un grand mal-être, et je n'arrivais pas pour autant à arrêter l'engrenage. »

Condamné à trois ans de prison

Benoit n'a jamais eu de pulsions pédophiles. S'il avoue consommer de la pornographie adulte, c'est sans ostentation - comme beaucoup. « Je me suis perdu. Perdu dans le charme de ma fille. Je lui trouvais une forme de pureté. Lili est la plus belle petite fille du monde. » Il ajoute : « Il ne s'agissait pas de possession mais de fusion. Je ressentais le besoin d'être connecté avec ses sensations. »
Le procès s'est déroulé le 8 mars dernier - le jour des cinq ans de Lili. La Brigade des mineurs et le juge ont entendu la bonne foi et le désespoir du père. Benoît a été condamné à trois ans de prison, dont un ferme avec aménagement de peine (bracelet électronique ou pointage chez un agent de probation, le juge n'a pas encore statué), et une obligation de soin.
Aujourd'hui, sa colère contre lui-même n'est pas tombée. Benoît n'a jamais revu sa fille en tête à tête et lui a expliqué pourquoi. Il lui a dit que papa avait « fait une grosse bêtise, qu'elle n'y était pour rien » et il l'a libérée du secret. Il attend de sa psychothérapeute qu'elle l'aide à découvrir la source de cette pulsion, estime que « le danger est passé », mais n'ose imaginer ce qui ce serait produit si Lili n'avait osé parler. « J'étais pris dans une spirale infernale. » Un silence. « Dans un cercle vicieux ».
*Le prénom a été modifié

M.M.



Pour en parler

* L'Ange bleu (pdte : Latifa Bennari)
www.ange-bleu.com
Tel : 0820 392 192
* Le Monde à travers un regard (pdte : Sandrine Apers)
www.lemondeatraversunregard.org
* SOS Inceste pour revivre (pdte : Eva Thomas)
www.sosinceste.org
Tel : 04 76 47 90 93
* Allo Enfance en danger
www.allo119.gouv.fr
Tel : 119

Ces associations ont besoin de moyens. N'hésitez pas à faire des dons.





Mardi 4 mai, sur Arte
Soirée Théma : Crimes d'inceste (prod : Doc en stock)
Deux documentaires
20h35 : Inceste : familles empoisonnées, de Juliette Armanet et Fabrice Gardel
21h25 : Coupable d'inceste, de Cyril de Turckheim et François Bordes

Revoir l'émission sur Arte-tv

© 2010, France-Soir, Marie Marvier - 4 mai 2010
Source

 


© 2005 : Association L'Ange Bleu - Conception : KANYOO - Développement : Willm N.
Hébergement : 1&1 - Webmaster : webmaster(at)ange-bleu.be
L'Ange Bleu est une association régie par la loi du 1er Juillet 1901 Préfecture de Police de Paris : N°135 801 – P.J.O. n°1787 du 4 Juillet 1998


"Préservons leur avenir : protégeons l'environnement"