Association L'Ange Bleu
A.N.P.I.C.P. (Association Nationale de Prévention et d'Information Concernant la Pédophilie)

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«Ensemble, on travaille contre le passage à l’acte»

22 février 2011

Reportage - Société

A Paris, des pédophiles et des victimes participent à des groupes de parole organisés par l’association l’Ange bleu. Approche rare qui porte ses fruits.

C’est Julie, la sœur de Jérôme (1), qui parle la première. Blonde aux cheveux courts, le visage doux et pâle, la voix calme. Elle raconte. Le coup de fil de la police, il y a un an : «Votre frère est en garde à vue.» Puis : «Il a téléchargé des images pédopornographiques sur Internet. On vous appelle parce qu’on sait que vous avez deux filles.» Julie se souvient du «choc». De son «besoin de réagir». Sur Internet, elle a tapé «pédophilie aide». Elle a trouvé l’Ange bleu. La voilà donc avec son frère, ce dimanche après-midi de janvier, assis autour de la table du «groupe de parole» de l’association. Une longue table couverte de thé et de gâteaux, au sous-sol d’un restaurant oriental du quartier Ménilmontant, à Paris. A leurs côtés, d’autres pédophiles «abstinents» ou «repentis», quelques-uns de leurs proches, et aussi d’anciennes victimes.

Comme beaucoup de pédophiles «téléchargeurs» d’images, Jérôme, la quarantaine, n’est jamais passé à l’acte. Pendant des années, pourtant, il a compulsivement consulté les sites dès que son «malaise» ressurgissait. «Je me voilais la face en me disant, ce n’est pas grave, ce n’est qu’un écran. Sans vouloir réaliser que, derrière cet écran, il y avait des enfants réels. Si personne ne regardait ces images, il n’y aurait pas de victimes.» Julie pense qu’elle a de la chance d’être tombée sur des «policiers intelligents». «Ils m’ont dit : "On veut que vous soyez au courant, si jamais votre frère garde vos enfants." Mais ils ont ajouté : "C’est quelqu’un qui a l’air très seul. Il faut que vous l’aidiez."»

«Fantasmes». Au bout de la table ovale, Latifa Bennari sourit. Cette petite femme énergique de 59 ans a fondé l’Ange bleu en 1998 sur cette idée «d’aide» utile. «Je voulais faire quelque chose pour les victimes, mais je me suis rendu compte qu’il existait déjà de nombreuses associations, raconte-t-elle. J’ai alors décidé de m’occuper de prévention. Les personnes qui ont des fantasmes pédophiles se sentent souvent très seules, elles n’ont personne à qui oser en parler. Si on les écoute, si on les aide à refréner leur attirance, on peut dans bien des cas éviter le passage à l’acte.» Une approche rare et intéressante, alors que se tient aujourd’hui la «journée européenne des victimes», organisée par plusieurs associations.

Chaque jour, Latifa Bennari reçoit des dizaines de mails via le site de l’Ange bleu (2). «Aidez-moi à protéger les enfants qui m’entourent», demande l’un. «J’ai ressenti une attirance pour ma belle-fille de 12 ans, je ne veux pas lui faire de mal», dit un autre. «Je voudrais arrêter le téléchargement», confie un troisième avant de raconter, comme beaucoup, les attouchements qu’il a lui-même subi enfant. Pour la majorité de ces hommes, Latifa est l’unique confidente.

«On a l’impression qu’on peut tout lui dire, qu’elle ne va jamais nous juger», dit Stéphane, 30 ans environ, assis autour de la grande table à côté de Jérôme. Pour lui, la «peur de passer à l’acte» est une angoisse omniprésente. Adrien, grand brun costaud à l’allure juvénile, essaie de le rassurer : «Quelle que soit la sexualité, il y a un toujours un décalage entre le fantasme et la réalité. C’est cette frontière qu’il faut que tu voies.» Adrien n’a jamais eu l’impression de risquer de devenir agresseur. En revanche, il a eu beaucoup de mal à se «sevrer» de sa consommation d’images. Victime d’abus lorsqu’il était enfant, il explique ainsi la force de son addiction. «Mon fantasme remonte à l’enfance. Je me suis construit avec. Pour m’en débarrasser, il faut revoir toutes les fondations.»

Jérôme acquiesce : «C’est comme une drogue. Quand tout va bien, on peut se passer des images. Dès qu’on traverse une passe difficile, Internet est un refuge. C’est un mécanisme de protection.»

«Franchise». Silencieux jusqu’alors, Alexandre, petit homme fluet d’une trentaine d’années, prend la parole. Lui n’a jamais ni agressé d’enfant ni téléchargé d’images, mais ses «fantasmes pédophiles» l’empêchent de mener ce qu’il appelle «une vie normale» : rencontrer une amie, se marier, faire des enfants… «Ça a commencé quand j’avais 8 ans, raconte-t-il. J’avais un petit copain qui venait à la maison. On a fait des jeux sexuels ensemble. Au début, on ne se rend pas compte. Mais au collège, puis au lycée, j’ai réalisé que je continuais à être attiré par des garçons et filles plus jeunes que moi, comme si tout s’était figé à ce moment-là.» Latifa l’encourage : «Ce que tu décris, Alexandre, c’est le facteur déclenchant de milliers de gens.» Alexandre sait cela, mais il est «malheureux». Il voudrait avoir une relation avec une femme sans lui cacher cet aspect de lui-même. «Tu ne peux pas commencer avec une fille en lui disant : "Salut, je t’aime bien mais j’ai des fantasmes pédophiles"», le coupe Jérôme. «Oui mais on a tellement besoin de franchise, de parler», rétorque Adrien. «Dans une relation de sexualité, d’intimité, c’est important de pouvoir se confier», embraye Mathieu.

A côté d’eux, une dame d’âge mur écoute en hochant la tête. «Cela me fait du bien de vous entendre, dit Lucie, grand-mère d’une petite fille abusée. Vous, vous êtes conscients, vous reconnaissez, vous luttez. Mon gendre, lui, n’a jamais voulu demander pardon.» En participant aux groupes de parole de l’Ange bleu, Lucie a l’impression de faire quelque chose «d’utile». «Des pédophiles qui s’engagent dans un dialogue avec des proches de victimes comme moi sont forcément moins dangereux, voire plus du tout. On travaille ensemble contre le passage à l’acte.» C’est le postulat de Latifa Bennari à travers ces groupes de paroles «mixtes». «Les pédophiles réalisent la souffrance des victimes. Et les victimes peuvent avoir le sentiment d’une reconnaissance qu’elles n’ont pas obtenu jusqu’alors.» Elle-même violée par un proche de son père dans son enfance, Latifa Bennari préfère le terme «d’ancienne victime». «On ne se reconstruit pas si l’on est sans cesse défini par ce qu’on a subi.»

Dérapages. Engagée à plein temps dans son combat pour lequel elle manque cruellement de subventions («ça n’est pas politiquement correct de s’occuper de pédophiles»), elle regrette que le discours politique se focalise sur des généralisations anxiogènes. «On a l’impression qu’un pédophile est forcément un monstre, renchérit Mathieu, un «ancien» de l’Ange bleu. Du coup, on n’ose plus parler à personne de nos problèmes, on se retrouve isolés, sans doute plus fragiles face aux risques de dérapages. Latifa, elle, a compris qu’on ne choisit pas d’être pédophile. On peut choisir de ne pas passer à l’acte, ça oui. Mais on ne décide pas de son orientation sexuelle.»

C’est au tour de Christelle, 28 ans. Petite voix timide, enveloppée dans un grand manteau gris, elle raconte les attouchements infligés par son oncle entre 4 ans et 12 ans, et son combat pour obtenir un procès. Lorsqu’elle détaille les obstacles judiciaires, les tentatives d’intimidation de sa famille, Adrien, Jérôme et Mathieu ouvrent des yeux effarés. «Au fond, il m’aurait suffi qu’il admette qu’il m’avait fait du mal, leur dit Christelle. C’est pour ça que cela me fait du bien de venir ici. D’entendre des gens comme vous qui reconnaissent. Comme si la reconnaissance que je n’ai pas pu avoir par mon oncle, je l’avais à travers vous.»

Adrien se souvient de son premier groupe de parole. A l’époque, il téléchargeait encore des images. «J’avais l’impression d’être une personne abjecte. Je me dégoûtais. Et puis, à la pause cigarette, une victime est venue me parler. Ça m’a bouleversé. Qu’une victime puisse m’adresser la parole, à moi, le monstre. Parce qu’on finit par s’enfermer dans l’image que la société vous renvoie.» Lucie lui demande comment il gère son «sevrage» d’images. «C’est difficile», dit-il. «Comme arrêter de fumer ?», questionne Lucie. «Plus difficile encore, répond Adrien. Mais venir ici, enchaîne-t-il, ça me permet de voir que je ne suis pas qu’un pédophile. Et de comprendre la souffrance des victimes. Elle est pire que la nôtre. Si on peut arriver à les aider, ne serait-ce qu’un peu, c’est tellement encourageant.»

La nuit est tombée et les participants du groupe de parole n’arrivent pas à se séparer. C’est l’heure où le ton se détend, où l’on ose plaisanter. «Si Nicolas Sarkozy n’était pas si obsédé par la récidive, sourit Latifa, il verrait qu’on peut aussi lutter, comme nous, contre le premier passage à l’acte. C’est quand même plus positif, non ?»
(1) Les prénoms ont été modifiés.
(2) www.ange-bleu.com


Par Ondine MILLOT
Dessin Michel galvin


Repères

La journée européenne des victimes organisée notamment par l'Inavem (Fédération nationale d'aide aux victimes et de médiation) se tient aujourd'hui. Un village d'associations est installé place du Trocadéro, à Paris. Une nouvelle campagne de médiatisation du numéro d'aide 0884 28 46 37 est lancée.

L'Association nationale pour la justice réparatrice (ANJR) fondée il y a trois mois, propose de lutter contre la récidive en développant des rencontres entre victimes et agresseurs. Son président, Stéphane Jacquot, vient d'être nommé secrétaire national de l'UMP chargé de la politique pénitentiaire et des prisons.

«Il n'existe aucune statistique officielle concernant les pédophiles "abstinents", jamais passés à l'acte. Les psychiatres et les associations pensent qu'il s'agit d'une très grande majorité des pédophiles.» Latifa Bennari présidente de l'Ange Bleu

80%
des abus sexuels sur mineurs
en France sont le fait de personnes connues de l'enfant. 97% des abuseurs sont des hommes.


© 2011, LibĂ©ration, Ondine Millot - 22 fĂ©vrier 2011



Depuis la parution de l'article de Libération, des dizaines de personnes isolées ont fait appel à l'Ange Bleu afin d'obtenir une aide. Cette aprution a eu sur elles un impact très positif, entre remises en cause, révélations et espoirs.
Avec son accord, X nous livre son témoignage :


« J'ai pris contact avec vous à la suite de la lecture du très bel article que Libération a consacré à l'Ange Bleu il y a quelques semaines. Sans lui, sans doute aurais-je continué à croire longtemps qu'il n'y avait pas vraiment de solution pour les gens comme moi, ceux que vous appelez les "abstinents", ceux qui jurent que jamais ils ne passeront à l'acte (et qui, Dieu soit loué, s'y tiennent !), ceux qui n'ont jamais eu affaire à la justice, ceux qui mènent malgré tout ça une vie "normale", entourés et bien insérés, mais ceux pour qui ce fardeau est parfois si lourd, pourtant, celui de la honte, de la culpabilité, du contrôle permanent.

Se taire, c'était continuer à souffrir, continuer de porter seul ce fardeau, sans pouvoir le poser ne serait-ce qu'un instant ; c'était courir le risque, aussi, qu'avec le temps, cette "ligne rouge" à laquelle on se tient depuis tant d'années finisse peut être par s'estomper.

Mais parler, demander de l'aide, c'était prendre le risque d'entrer dans la spirale de la diabolisation, de l'amalgame entre le simple fantasme et le crime, prendre le risque de voire se disloquer son univers social et familial. Et puis parler à qui, d'ailleurs ? Au médecin de famille formaté au principe de précaution, dont le premier acte thérapeutique aurait été le signalement ? A l'épouse ou au parent dont le monde se serait écroulé ? A l'ami abreuvé jour après jour des faits divers sordides que relatent la presse et qui jamais n'aurait compris que l'on puisse n'avoir tout ça que dans la tête ?

Cet article m'a libéré. D'abord parce qu'il m'a indiqué une porte, la votre, que j'ai fini un jour par pousser. Mais aussi, et peut être surtout, parce que pour la première fois, j'ai eu l'impression qu'il parlait de moi ; il ne parlait ni de violeurs, ni de criminels, mais, avec pudeur et dignité, de tout ceux qui, comme nous, ont besoin que l'on fasse sauter ce terrible amalgame pour oser un jour pousser une porte et demander de l'aide. Puisse cet article avoir ouvert la porte à beaucoup d'autres. »



 


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